Préface des Éditions de Londres

« L’idiot » est une des œuvres les plus réputées de Fiodor Dostoïevski. Il l’écrit entre 1867 et 1869 à une période difficile pour lui. Il vient de se marier avec sa secrétaire contre l’avis de sa famille. Il voyage à l’étranger pour soigner ses crises d’épilepsie. Il est couvert de dettes.

Le sujet

« L’idiot » raconte les aventures du prince Mychkine, une sorte de Don Quichotte qui erre dans la société de Saint-Pétersbourg sans jamais pouvoir s’y intégrer. Atteint d’une maladie psychiatrique dans son enfance, il a été soigné en Suisse d’où il revient en principe guéri. Son comportement dans la société de Saint-Pétersbourg est ambigu. D’un côté, sa façon de prendre les conversations naïvement au premier degré sans jamais y voir les sous-entendus le fait passer pour un idiot, mais on le trouve supérieurement intelligent lorsqu’il analyse les situations et la pensée de ses interlocuteurs.

La version des Éditions de Londres

La version que nous proposons reprend la traduction de Victor Derély parue chez Plon dès 1887.

Nous en avons corrigé les mots et les tournures obsolètes pour en permettre une lecture plus confortable.

Pour une lecture rapide, nous avons mis en tête de chaque chapitre un, deux ou trois astérisques indiquant l’intérêt plus ou moins grand que nous avons trouvé à ce chapitre. Ces astérisques servent de lien pour accéder à la fin du chapitre où nous avons ajouté un court résumé de ce chapitre afin que le lecteur qui en saute la lecture puisse suivre l’intrigue du roman.

Résumé du livre

Dans son roman « l’idiot », Dostoïevski crée un suspense psychologique autour de personnages au caractère extrême.

Tout d’abord l’idiot, le prince Mychkine, il revient de Suisse où il a été soigné. Il est simple et naturel comme un enfant. Il prend tout ce qu’on lui dit au premier degré sans imaginer de sous-entendus, il fait confiance à tout le monde et est toujours parfaitement sincère au risque de blesser par ses réponses. Aussi, on le trouve idiot dans son comportement habituel mais très clairvoyant dans son analyse des caractères et des situations. Il inspire l’amitié et l’amour.

Il admire Nastasia Philippovna depuis qu’il a vu sa photo, il a de la compassion pour elle et est prêt à se marier avec elle pour la protéger. Il aime Aglaia depuis qu’il l’a vue mais n’ose pas l’avouer ni à lui ni à elle.

Le deuxième personnage est Nastasia Philippovna. Nastasia, quand ses parents sont morts, a été recueillie par Totski qui lui a fait donner une bonne éducation. Celui-ci lorsqu’elle est jeune fille la trouve très belle et en fait sa maîtresse. Au début du roman, elle arrive à Saint-Pétersbourg honteuse de sa déchéance et pleine de haine pour Totski et la société. Elle est très belle, entourée de courtisans mais refuse à tous ses faveurs.

Totski veut se débarrasser de Nastasia en la mariant avec Gania qui serait prêt à accepter de se marier pour toucher la dot promise. Rogojine qui est éperdument amoureux d’elle depuis qu’il l’a aperçu a proposé 100 000 roubles pour qu’elle se marie avec lui.

Mais, quand elle rencontre le prince, elle est touchée par sa sincérité. Elle l’aime mais pense que sa déchéance serait une honte perpétuelle pour le prince.

Lors de la soirée d’anniversaire de Nastasia, Rogojine apporte les 100 000 roubles promis. Le prince est persuadé que Nastasia va à sa perte en partant avec Rogojine ; aussi, il lui propose de l’épouser. Elle semble d’abord accepter puis décide de partir faire la fête avec Rogojine persuadée qu’elle ne mérite pas le prince.

Jusqu’à la fin, elle rejoindra alternativement Rogojine et le prince sans jamais se décider.

Le troisième personnage est Rogojine. C’est un marchand qui vient d’hériter de son père. Il est follement amoureux de Nastasia depuis qu’il l’a aperçue. Il sait que Nastasia ne l’aime pas et qu’elle aime le prince mais il est prêt à tout pour la posséder.

Sa relation avec le prince est ambiguë. Il a de l’amitié pour lui quand il le rencontre mais très vite il le hait, jaloux de l’amour que porte Nastasia au prince. Dans ses moments de haine folle, il est prêt à tuer le prince.

Le quatrième personnage clé est Aglaia. C’est la fille cadette de la famille Epantchine. Elle est capricieuse et autoritaire. Elle aime le prince mais ne veut pas l’avouer et se moque sans cesse de lui. Elle est jalouse de Nastasia et lorsqu’elle sera prête à se marier avec le prince, elle voudra d’abord obtenir l’accord de Nastasia.

L’histoire de ces quatre personnages se déroule au milieu d’autres intrigues qui font diversion.

L’histoire du « fils de Pavlichtchev ». Bourdovski, parce qu’il pense être le fils de Pavlichtchev, protecteur du prince à la mort de ses parents, réclame au prince les sommes dépensées par Pavlichtchev pour entretenir et soigner le prince. C’est l’occasion pour Dostoïeski de présenter les idées d’un groupe de nihilistes.

L’histoire d’Hippolyte. Hippolyte est un jeune phtisique qui va mourir dans les semaines à venir. Le prince pris de compassion veut l’aider. Mais, Hippolyte hait la société, confesse ce qu’il ressent quand il ne lui reste que quelques jours à vivre et veut se tuer car sa mort est la seule chose qu’il puisse encore entreprendre.

Les personnages

Les principaux personnages du roman sont :

Lev Nikolaïévitch Mychkine ou le prince. C’est le personnage principal. Il revient de Suisse où il a été soigné. C’est « l’idiot ».

Nastasia Philippovna Barachkov. Adolescente, Totski qui l’avait recueilli en a fait sa maîtresse. Elle hait la société. Elle se considère comme perdue.

Parfione Séménovitch Rogojine. C’est un jeune marchand riche qui s’est follement épris de Nastasia. Il veut à n’importe quel prix se marier avec Nastasia.

Afanase Ivanovitch Totski. C’est un séducteur. Il avait recueilli Nastasia à la mort de ses parents puis la trouvant très belle, il en avait fait sa maîtresse.

Ivan Fédorovitch Épantchine ou le général. C’est lui que le prince ira voir en arrivant à Saint-Pétersbourg. C’est un général très occupé par ses affaires.

Élisavéta Prokofievna Épantchine ou la générale. Elle est une parente éloignée du prince.

Alexandra Ivanovna Épantchine. La fille aînée des Épantchine.

Adélaïde Ivanovna Épantchine. La deuxième fille des Épantchine.

Aglaia Ivanovna Épantchine. La fille cadette des Épantchine. Le prince l’aime mais Aglaia a toujours du mal à se décider.

Gavrila Ardalionovitch Ivolguine ou Gania. Jeune secrétaire voulant réussir. Il est prêt à épouser Nastasia pour sa dot.

Varvara Ardalionovna Ivolguine ou Varia. C’est la sœur de Gania. Elle cherche à arranger le mariage de Gania avec Aglaia Épantchine.

Ardalion Alexandrovitch Ivolguine ou le général Ivolguine. Le père de Gania. C’est un vieux général ivrogne exclu du service.

Nina Alexandrovna Ivolguine. La mère de Gania très effacée.

Nicolas Ardalionovitch Ivolguine ou Kolia. C’est le jeune frère de Gania. Il est toujours prêt à rendre service.

Loukiane Timoféïévitch Lébédev. Ancien fonctionnaire. Homme d’affaires obséquieux et magouilleur.

Quelques extraits clés

« L’Idiot » est avant tout un suspense psychologique extrêmement prenant. Toutefois, Dostoïevski, comme dans tous ses romans, y affirme certaines thèses qui lui tiennent à cœur.

Dans le chapitre 2 de la première partie, le prince raconte qu’il avait assisté à une exécution et fait un réquisitoire contre la peine de mort :

Le coupable, un certain Legros, était un homme intelligent, intrépide, dans la force de l’âge. Eh bien, vous me croirez ou vous ne me croirez pas, en montant sur l’échafaud, il pleurait, il était blanc comme une feuille de papier. Est-ce que c’est possible ? Est-ce que ce n’est pas épouvantable ? Voyons, qui donc pleure d’effroi ? Je ne pensais pas que la frayeur pût arracher des larmes à quelqu’un qui n’était pas un enfant, mais un adulte, à un homme de quarante-cinq ans qui n’avait jamais pleuré. Que se passe-t-il donc dans l’âme durant cette minute ? À quelles affres est-elle en proie ? C’est un attentat commis sur l’âme, rien de plus ! Il est dit : « Ne tue pas », et, parce qu’un homme a tué, on le tue aussi ! Non, ce n’est pas permis. Il y a déjà un mois que j’ai vu cela et ce spectacle est toujours présent devant mes yeux. J’en ai rêvé cinq fois.

Dans le chapitre 5 de la première partie, un homme qui avait été condamné à mort puis gracié au dernier moment (c’est ce qui était arrivé à Dostoïevski) raconte par la voix du prince ce qu’il a ressenti :

Non loin de là, il y avait une église dont le soleil faisait rayonner la coupole dorée. Il se rappelait avoir tenu ses yeux obstinément fixés sur cette coupole et sur les rayons qu’elle répercutait ; il ne pouvait en détacher son regard, il lui semblait que ces rayons étaient sa nouvelle nature, que, dans trois minutes, il allait se confondre avec eux… L’incertitude, l’horreur de l’inconnu qu’il sentait si proche étaient quelque chose d’épouvantable, mais rien, disait-il, ne lui avait été alors plus pénible que cette incessante pensée : « Si je ne mourais pas ? Si la vie m’était rendue ? Quelle éternité ! Et tout cela serait à moi ! Oh ! alors, chaque minute serait pour moi comme une existence entière, je n’en perdrais pas une seule, je prendrais soin de tous les instants pour n’en dépenser aucun inutilement ! » À la fin, l’obsession de cette idée l’avait tellement irrité qu’il aurait voulu être fusillé le plus vite possible.

Dans le chapitre 6 de la première partie, le prince raconte sa vie en Suisse avec les enfants du village et affirme qu’il ne faut rien cacher aux enfants :

Il ne faut rien cacher aux enfants, sous prétexte qu’ils sont petits et qu’à leur âge on doit ignorer certaines choses. Quelle triste et malheureuse conception ! Et comme les enfants s’aperçoivent bien eux-mêmes que leurs parents les prennent pour des bébés ne comprenant rien, alors qu’ils comprennent tout ! Les grandes personnes ne savent pas que, dans l’affaire même la plus difficile, un enfant peut donner un conseil d’une extrême importance. Oh ! Dieu ! quand ce joli petit oiseau fixe sur vous son regard heureux et confiant, vous avez honte de le tromper !

Dans le chapitre 5 de la deuxième partie, le prince décrit ce qu’il ressent juste avant ses crises d’épilepsie :

Au milieu de l’abattement, du marasme mental, de l’anxiété, il y avait des moments où son cerveau s’enflammait tout à coup, pour ainsi dire, et où toutes ses forces vitales atteignaient subitement un degré prodigieux d’intensité. La sensation de la vie, de l’existence consciente, était presque décuplée dans ces instants rapides comme l’éclair. Une clarté extraordinaire illuminait l’esprit et le cœur. Toutes les agitations se calmaient ; tous les doutes, toutes les perplexités se résolvaient d’emblée en une harmonie supérieure, en une tranquillité sereine et joyeuse, pleinement rationnelle et motivée. Mais ces moments radieux n’étaient encore que le prélude de la seconde finale, celle à laquelle succédait immédiatement l’accès. Cette seconde, assurément, était inexprimable. Qu’importe que ce soit une maladie, une tension anormale, si le résultat même, tel que, ayant recouvré la santé, je me le rappelle et l’analyse, renferme au plus haut degré l’harmonie et la beauté ; si, dans cette minute, j’ai une sensation inouïe, insoupçonnée jusqu’alors, de plénitude, de mesure, d’apaisement, de fusion, dans l’élan d’une prière, avec la plus haute synthèse de la vie ?

Dans le chapitre 1 de la troisième partie, quand Evguéni Pavlovitch relate un crime qui a été commis sur six personnes, pour lequel le défenseur a plaidé que, vue la pauvreté du coupable, il devait nécessairement commettre cet attentat. Le prince fait alors la différence avec les criminels anciens :

Je sais bien moi-même qu’il s’est commis autrefois beaucoup de crimes et d’aussi épouvantables ; dernièrement encore j’ai visité des prisons, et j’ai eu l’occasion de faire connaissance avec divers détenus, tant prévenus que condamnés. Il y a même des criminels plus effroyables que celui-là, des gens qui ont assassiné jusqu’à dix personnes et qui ne s’en repentent nullement. Mais voici ce que j’ai remarqué dans mes rapports avec ces scélérats : l’assassin le plus endurci, le plus inaccessible au remords, sait néanmoins qu’il est un criminel, c’est-à-dire qu’il admet, en conscience, avoir mal agi, alors même qu’il n’éprouve aucun repentir de ses actes. C’est ainsi qu’ils sont tous, tandis que ceux dont a parlé Evguéni Pavlovitch, ne veulent même pas se croire coupables ; en eux-mêmes, ils estiment qu’ils étaient dans leur droit et… qu’ils ont bien fait ; du moins, telle est à peu près leur conviction.

Au chapitre 8 de la troisième partie, le prince explique à Aglaia qu’il n’aime pas Nastasia mais qu’il a de la compassion pour elle :

Cette malheureuse femme a l’intime conviction qu’elle est la créature la plus déchue, la plus vicieuse qui soit au monde. Oh ! ne la vilipendez pas, ne lui jetez pas la pierre. Elle n’est déjà que trop tourmentée par la conscience de son déshonneur immérité ! Et de quoi est-elle coupable, ô mon Dieu ! Oh ! sans cesse, elle crie furieusement qu’elle n’a aucune faute à se reprocher, qu’elle est la victime des hommes, la victime d’un débauché et d’un scélérat ; mais, quoi qu’elle en dise, sachez que ses paroles ne sont nullement l’expression de sa pensée, et qu’au contraire, dans l’intime de son âme, elle se croit coupable. Quand j’essayais de dissiper ces ténèbres, cela la mettait dans un tel état que mon cœur ne se cicatrisera jamais, aussi longtemps que je garderai le souvenir de ces affreux moments. Depuis lors, j’ai, pour ainsi dire, le cœur percé de part en part. Elle s’est sauvée de chez moi, savez-vous pourquoi ? Précisément à seule fin de me prouver qu’elle était une misérable. Mais le plus épouvantable c’est qu’elle-même, peut-être, ne savait pas que tel était son seul but, et qu’elle s’enfuyait mue par le désir de faire une action honteuse pour pouvoir se dire ensuite à elle-même : « Voilà que tu t’es encore déshonorée, tu es par conséquent une infâme créature ! » Oh ! vous ne comprendrez peut-être pas cela, Aglaia ! Savez-vous que dans cette conscience de son déshonneur qui la torture sans relâche, il y a peut-être pour elle une jouissance affreuse, antinaturelle, quelque chose comme la satisfaction d’une rancune implacable. Parfois, j’arrivais à lui rendre pour un instant la vue vraie des choses ; mais aussitôt après, elle s’exaltait de nouveau et en venait à m’accabler des reproches les plus amers, prétendant que je voulais l’écraser de ma supériorité (ce à quoi je ne songeais pas du tout) ; finalement, quand je lui proposai le mariage, elle me déclara qu’elle ne demandait à personne une compassion hautaine, et qu’elle n’avait pas besoin que quelqu’un l’élevât jusqu’à lui.

Au chapitre 7 de la quatrième partie, le prince fait la critique du catholicisme en opposition aux chrétiens d’Orient :

Le catholicisme romain professe que l’Église ne peut pas subsister sur la terre si le monde entier n’est pas soumis à son pouvoir politique, et il crie : Non possumus ! À mon avis, le catholicisme romain n’est même pas une religion, mais simplement la continuation de l’Empire romain d’Occident, et tout en lui, à commencer par la foi, est subordonné à cette idée. Le pape s’est emparé de la terre, d’un trône terrestre, et il a pris le glaive ; c’est depuis lors que tout va ainsi, seulement au glaive ils ont ajouté le mensonge, l’intrigue, l’imposture, le fanatisme, la superstition, la scélératesse ; ils se sont fait un jeu des sentiments populaires les plus sacrés, les plus droits, les plus naïfs, les plus ardents ; ils ont tout troqué, tout, contre de l’argent, contre une basse domination terrestre.